Du bidonville à la cité : Une longue histoire…
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Cette ville dynamique et riche de sa multiculturalité a un passé unique car marqué par la royauté française et enrichie par l’histoire du mouvement ouvrier.
Le quartier Franc-Moisin / Bel-Air, d’une superficie de 42 hectares, est situé quant à lui, au Sud-est du centre ville de Saint Denis, et limitrophe d’Aubervilliers et du quartier des 4000 de La Courneuve. Il est délimité par l’autoroute du Nord, le Canal Saint-Denis, l’autoroute A86 et le Fort de l’Est.
1. Du bidonville…
De la main d’œuvre immigrée…
D’une ville maraîchères, Saint-Denis est devenue au fil du temps – comme beaucoup de villes de la Seine-Saint-Denis – une ville dont l’économie dépendait de l’industrie, et notamment de l’industrie lourde.
Au 19°siècle, le territoire accueille les premières vagues d’immigration bretonne et espagnole.
Ainsi au cours du siècle, le territoire a vu décupler le nombre de ses habitants. Cette évolution a permis d’une part de développer les transports et les moyens de communication et d’autre part de préparer le territoire au développement massif de l’industrie future.
A cette époque, plus de la moitié de la population résidait sur quatre communes : Saint-Denis, Saint-Ouen, Aubervilliers et Pantin.
Au début du 20°siècle, la ville de Saint-Denis ne comptait pas moins de 80 usines d’industries lourdes (sidérurgie et métallurgie) en parallèle des activités maraîchères. Le secteur industriel devint le principal employeur, 60% des habitants y travaillant.
Les travailleurs issus de l’immigration, au départ employés dans les cultures, puis dans l’industrie de guerre, s’installeront définitivement avec l’essor du processus d’industrialisation des années 1920.
…Mais sans logements
A défaut d’autres logements, ces travailleurs se sont construits des baraquements de fortune.
Avec la Première Guerre mondiale, un quartier « la Petite Espagne », situé à cheval sur Saint-Denis et Aubervilliers, a vu le jour au milieu des usines.
Mais beaucoup des travailleurs – issus de milieux ruraux – se mirent à préférer un champ situé non loin de là qui avait en plus l’avantage d’être étendu. C’est ainsi qu’apparurent les premières baraques du champ du Franc-Moisin aux alentours des années 20 au sud de la zone pavillonnaire Bel-Air.
La première reconnaissance de ce bidonville date de 1926 lorsque le recensement prit en compte ces habitants. On a pu dénombrer un peu moins de 80 foyers, passant à près de 600 habitants en 1936. Une vie de village existait alors, avec ses épiceries et cafés espagnols.
Néanmoins, ce bidonville a vite été rattrapé par des conditions d’hygiène et de viabilité assez désastreuses. En effet, le terrain n’a bénéficié d’aucune mise aux normes, étant une propriété privée et non une propriété communale. Les habitants ont donc vécu très longtemps sans eau, sans électricité, avec des fosses communes sans tinettes…
Ces conditions de vie ne furent en rien arrangées par la crise économique des années 30, ajoutant aux foyers insalubres – en multiplication constante – un taux de chômage élevé, de nombreux cas de tuberculose, une forte mortalité infantile…
L’auto-construction du Franc-Moisin s’est poursuivie jusque dans les années 50, les baraquements de l’entre-deux-guerres étant remplacés au fur et à mesure par des maisonnettes en parpaings.
Dans les années 60, une nouvelle vague d’immigration arriva au Franc-Moisin – notamment pour la construction de l’autoroute du Nord (A1) – créant ainsi un nouveau village de baraquements de fortune et accroissant toujours plus le nombre d’habitants.
Les chiffres – bien que sous-estimés – annonçaient 1949 personnes en 1965, ADT Quart Monde en avisait 2500 une année plus tard, jusqu’à une estimation située entre 2 571 et 5 000 habitants en 1968.
La question qui se pose alors, est de savoir jusqu’à quand les politiques laisseront s’étendre le phénomène et fermeront les yeux sur les conditions inhumaines dans lesquelles vivent une partie de leurs citoyens.
2. A la cité
L’intervention des politiques…
Saint-Denis devint « ville rouge » en 1920. Les premières attentions politiques envers les populations défavorisées tendirent à une amélioration du quotidien. Celle-ci se traduisit par l’instauration d’allocations chômages et de nombreuses autres aides comme les soupes populaires, les cantines, les colonies de vacances gratuites pour les enfants, des bons de vêtements, de laits, de coiffeurs, de bains-douches… Ces aides concernaient toute personne souffrant du chômage et quelle que soit sa nationalité.
La vraie prise de conscience de la municipalité concernant l’ampleur du phénomène des bidonvilles sur sa municipalité, se fit au milieu des années 60. C’est alors qu’elle commença à dénoncer le problème, en démarchant auprès de la préfecture et du département – créé en 1965 – dans le but d’obtenir les financements nécessaires à la dissolution de ceux-ci.
Quelques années plus tard, la loi Debré concernant la lutte anti-bidonville permit d’engager une première résorption, s’accélérant avec la loi Vivien de 1970 qui étendit la lutte anti-bidonville à la résorption de l’habitat insalubre.
Les habitants furent relogés provisoirement dans des cités de transit, des hôtels ou des foyers en attendant la construction d’une cité d’Habitation à Loyer Modéré (HLM).
La résorption du bidonville durera jusqu’en janvier 1974, date à laquelle furent détruites les dernières baraques.
…et les immeubles fleurissent
C’est en 1970 qu’émergent les premiers logements de la cité HLM, en parallèle de la désindustrialisation de la ville. 12 immeubles d’une capacité de 2 259 logements furent édifiés par deux bailleurs : l’Office Public d’Habitations à Loyer Modéré (OPHLM) et Logirep. La nouvelle cité du Franc-Moisin permet d’abriter la population de l’ancien bidonville du même nom, mais aussi les habitants des autres bidonvilles du Cornillon et de la Petite Espagne.
De nombreux aménagements urbanistiques restent néanmoins à réaliser, comme l’instauration de voiries entre les immeubles, l’entretien des espaces extérieurs et le tassement des buttes présentes entre les bâtiments qui – comme l’annonce la police – favorisent la mise en place de guetteurs par les délinquants.
Ce quartier présente plusieurs atouts. En effet, celui-ci est peu enclavé n’étant qu’à une dizaine de minutes à pied de la Porte de Paris et à 15 minutes du centre ville, l’aménagement en îlots présente des avantages certains, les logements sont spacieux et bien équipés, enfin il dispose d’un maillage associatif très dense.
Mais la situation sociale des habitants est plus préoccupante. Le quartier abrite une forte présence de jeunes (40% des habitants ont moins de 20 ans en 1982), une forte proportion d’étrangers (un tiers de la population totale) et une dominante populaire avec plus de 85% des actifs étant ouvriers ou employés.
La situation du logement étant améliorée, nous allons essayer de voir les moyens développés par la ville pour améliorer la situation sociale de ces habitants et les résultats obtenus 30 ans plus tard.
3. En passant par la politique de la Ville
Un dynamisme local
L’idée d’insérer le quartier dans les dispositifs politique de la Ville a été fortement soutenue par les bailleurs sociaux. Au début des années 1980, l’OPHLM rencontre de graves difficultés financières, dues notamment à la vacance permanente de 150 logements.
C’est pourquoi, l’organisme incite la mairie à entrer en politique de la Ville avec comme argument principal la manne financière que cela représente. Mais c’est aussi au vu de l’aggravation du contexte social et économique sur le quartier, que la municipalité placera celui-ci au cœur de ses priorités.
Après maintes réflexions, la mairie communiste lance une première étude Habitat et Vie sociale en 1981, et dès l’année suivante, le quartier sera classé en Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP).
C’est à partir du milieu des années 1980, et d’après les trois études sociale, urbaine et sanitaire réalisées, qu’un dynamisme certain remodèlera l’ensemble du quartier.
En effet, le quartier se dégrade et les équipements collectifs prévus initialement sont quasi inexistants.
Dès 1986, la mairie instaure une « Démarche quartier », qui servira d’expérimentation – permettant l’extension de ce dispositif à l’ensemble de la ville dès 1995.
Après la mise en place d’une Maîtrise d’Œuvre Urbaine et Sociale (MOUS) , le quartier s’inscrira dans les diverses procédures de la politique de la Ville : une convention Développement Social des Quartiers (DSQ) sera signée, un Grand Projet Urbain (GPU) puis un Grand Projet de Ville (GPV), et enfin des Contrats de Ville de 1995 à 2006.
Le quartier, classé en Zone Urbaine Sensible (ZUS) depuis 1996, bénéficiera d’importants investissements publics.
En quelques années apparaîtront des bureaux, un complexe sportif, une Mission Locale (ML), un Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE), un lycée. Un nouveau centre commercial ouvrira ses portes, tout comme le bureau de Poste et l’Espace services publics (ESP), qui permet de renouer le lien entre les habitants et les services publics. Plus tard seront construits la passerelle et le pont tournant reliant Franc-Moisin / Bel-Air à La Plaine-Saint-Denis et au stade de France et une Maison de l’Initiative Economique Locale (MIEL) s’installera.
Les bâtiments seront réhabilités, les espaces extérieurs et les voiries restructurés : en 5 ans, de nouvelles rues sont créées, des arbres plantés, les halls d’immeubles sont rénovés, les façades repeintes, un bâtiment est démoli.
Malgré des avis divergents concernant ces travaux, tous sont unanimes quant au bienfait de la destruction du bâtiment B3 qui scindait le quartier en deux. Plusieurs projets ont été envisagés pour l’espace libéré (25 000 m2) mais cet espace n’est toujours pas exploité par le bâti et est devenu un lieu de passage et de convivialité.
Aujourd’hui encore, le quartier, répertorié dans les 215 quartiers du Plan Espoir Banlieue (PEB) est inscrit dans le dossier présenté par la ville à l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) et profite de nouvelles rénovations : construction de nouveaux logements sociaux et en accession à la propriété à Bel-Air, rénovation de l’habitat ancien (Bel-Air et Clos Saint-Quentin), création de nouveaux équipements de quartier… et à terme la traversée du quartier par le tramway T8.
Stéphanie Musso
Chargée de mission en santé communautaire
Source : « Le Franc-Moisin, entre histoire et mémoires », les Editions de la DIV en partenariat avec Profession Banlieue