Si fort et si fragile
A la question souvent posée ; alors comment cela va à la Place Santé, il est difficile de répondre. Pour la personne qui découvre aujourd’hui L’ACSBE- La Place Santé en passant la porte de la salle d’attente la réponse est évidente ; tout va bien, c’est même formidable ce que vous faites ! Les consultations médicales, les consultations de médiation, les ateliers collectifs, les actions de santé publiques …. Cela foisonne de partout. Mais si cet observateur regarde de plus près, s’il prend le temps de respirer l’ambiance, son jugement premier va se ternir. Derrière les sourires des « gens » de la Place Santé on peut percevoir l’inquiétude, certains jours on peut mesurer l’épuisement, la lassitude, voire même l’anxiété. Oh bien sur personne ne le dira ainsi, on s’excusera même de dire que c’est difficile d’être au quotidien face à la souffrance sociale, et à la maladie. On se protégera en disant que les habitants sont sympas, qu’ils rendent plus que ce que l’on donne. En réalité cette impression de malaise perçue par l’observateur avisé est juste.
L’ACSBE- La Place Santé est fragile, très fragile. L’incertitude sur l’avenir de chacun remonte à la gorge comme une angoisse, allons- nous pouvoir tenir dans l’adversité. De quelle adversité parlons-nous ? De celle de la précarité des financements, de l’incertitude du devenir des contrats et conventions d’emplois aidés, de l’insuffisance de nos moyens pour bien faire notre travail d’encadrement, pour porter nos projets de santé publique…..et de nos erreurs à nous, qui ne savons pas tout bien faire.
Alors nous essayons de réparer nos erreurs, tout le monde retrousse ses manches pour faire mieux, pour être plus solidaires, cela est nécessaire mais pas suffisant. Les pouvoirs publics doivent s’engager davantage. Il faut qu’ils comprennent que l’innovation que nous portons au sein de ce quartier populaire a besoin tout autant de soutien financier que de satisfecit et d’encouragements. Ce qui se passe actuellement à la cité du Franc-Moisin, ce n’est pas seulement une « expérience » d’offre de santé c’est aussi un engagement de femmes et d’hommes pour aider à la transformation sociale et cela mérite bien un peu plus d’aide.
Didier Ménard
Président de l’ACSBE-La Place Santé
Nouvelle année, nouvelle étape !
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Le passage à la nouvelle année est marquée à la cité du Franc-Moisin par la fermeture du cabinet médical du Docteur Paknadel, mon associé, et donc de moi-même. Après 35 ans d’activités médicales, une page se tourne. Les derniers jours furent marqués par la venue, souvent en famille, des patients pour dire au revoir. Ce fut un grand moment d’émotion où nous avons pu mesurer à quel point notre pratique de la Santé dans un quartier populaire nous avait permis de réaliser notre engagement pris à la création du cabinet en 1978. Ce dont les habitants nous ont remercié, ce n’est pas la qualité de nos diagnostics, ni même des traitements proposés, mais de notre accompagnement dans les moments difficiles de leurs vies, de notre engagement à leurs cotés quand ils étaient malmenés par les institutions, par le travail, par les accidents de la vie. D’avoir tout simplement été leurs médecins de famille.
Maintenant nous passons le témoin aux jeunes médecins de la Place Santé. Ce passage, s’il est évident pour nous qui avons porté le projet de construction du Centre de Santé Communautaire, ne l’est pas pour les habitants. La question récurrente de ces derniers jours était « vont-ils savoir faire comme vous ? », « allons-nous retrouver à la Place Santé toute cette empathie, ce service, cet engagement que l’on pouvait trouver au 7ième étage du 41 rue de Lorraine ? ». Je me suis engagé pour leur dire que c’est ensemble que nous allons continuer à construire ces savoir-faire et ces savoir-être. Il faudra que les habitants apprennent aux jeunes docteurs, comme ils nous l’ont appris, à ne pas avoir une vision trop médicale, que prendre du recul vis à vis de la plainte qui motive la consultation est nécessaire pour mesurer toute l’ampleur du problème soumis au médecin. L’approche sociale, l’approche cultuelle, la dimension psychologique, font partie de la question médicale, cela ne s’apprend pas à la faculté et à l’hôpital, où la médecine est faite différemment pour répondre à d’autres problèmes. Nous pratiquons la médecine générale dans une dimension de Santé Communautaire, cela signifie que le soin est particulier. Il doit être émancipateur, protecteur, coordonné avec les autres professionnels du quartier. Cela s’apprend à chaque consultation, et cela fait maintenant deux années que les jeunes font cet apprentissage. Les médecins qui se sont engagés dans le projet de la Place Santé portent haut et fort ces valeurs, ils veulent pouvoir répondre aux besoins de santé des habitants, ils conçoivent leur travail en partenariat et dans l’action collective c’est pour cela qu’ils vont réussir, j’ai complètement confiance en eux. Et ils ne sont pas seuls, toute l’équipe est là pour les aider, le travail des médiatrices est un bien précieux pour eux, les ateliers collectifs sont des moments de ressourcement, la musicothérapeute, la psychologue, la diététicienne, la podologue, l’équipe de direction, les secrétaires et le conseil d’administration de l’ACSBE sont là pour tisser collectivement notre projet de Santé. Ils ont tous besoin de la confiance, de l’humour, du respect des habitants et cela demande de la part de toute l’équipe de l’humilité, de la pugnacité, et de ne jamais baisser les bras dans l’adversité même quand la maladie est bénigne, même quand le problème social est bénin.
C’est une construction qui ne peut se faire que dans la confiance réciproque, il suffit ensuite d’y mettre de la compétence, de la persévérance et même de la tendresse et tout ce passera bien
Ce sont les vœux que je formule en ce début d’année pour toute l’équipe de l’ACSBE, et pour les habitants de la cité : continuons ensemble à construire la Santé Communautaire nous en avons tous besoin.
Bonne année !
Didier Ménard
Président de l’ACSBE-La Place Santé
Nous y sommes arrivés !
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Le rapport du « Comité des Sages » pour une stratégie nationale de santé présidé par Alain Cordier l’a écrit, la Ministre Marisol Touraine l’a dit : l’avenir du système de santé passe par « outre des activités de soin, ces équipes pluridisciplinaires doivent développer dans le cadre de leur projet de santé des actions de préventions et d’éducation à la santé, en lien avec les priorités du Comité Interministériel de la santé et les priorités régionales. Elles doivent également créer des liens avec les secteurs médico-social et social. »
Ce n’est pas à l’ACSBE que nous allons contester ces dires, puisque nous tentons avec la Place Santé de réaliser chaque jour ce projet de santé. Nous n’allons pas bouder notre plaisir d’entendre enfin dire, du haut de la tribune de la République, que le choix que nous avons fait est légitime et reconnu.
Ceci dit, si nous l’avons fait depuis si longtemps c’est parce qu’il est pour nous difficile de faire autrement. Les valeurs que nous partageons de justice sociale, de lutte contre la discrimination, de solidarité, la conception que nous avons de la santé, c’est à dire la recherche d’un bien-être, et surtout la réalité des conditions de vie des habitants du quartier Franc-Moisin/Bel-Air nous impose de concevoir l’action de la santé dans le cadre de la santé communautaire.
Construire des actions de soin, de prévention, d’éducation, d’accès aux droits ; d’organiser chaque année plus de cent ateliers collectifs, d’aider les habitants de notre cité à participer à ces actions et bien plus : de les co-construire ensemble, tout cela nourrit et donne le sens de notre exercice professionnel.
Mais attention à ce que cette reconnaissance ne soit pas l’arbre qui cache la forêt des difficultés.
Nous sommes soutenus, nous sommes financés par les institutions. Au sein de chacune d’elles des femmes, des hommes, nous accompagnent pour que nous réussissions notre projet, mais que le système est compliqué !
Tout ce travail est extrêmement fragile tant les procédures sont compliquées, tant les femmes et hommes politiques qui décident, manquent de courage pour oser dépasser le stade de l’expérimentation.
Nous en avons marre d’être expérimenté ! Depuis 20 ans, nous labourons le champ de l’action médico-sociale : l’heure est venue de tout basculer dans le droit commun.
La politique de la ville et la politique de santé ne doivent plus être des politiques de secondes zones : les quartiers populaires, les associations qui y travaillent doivent se sentir soutenues par la République.
Il n’est pas normal que nous redoutions chaque année, malgré tout nos efforts, le déficit financier. Ce n’est pas normal que les personnes qui travaillent à la Place Santé acceptent, pour faire vivre le projet, d’avoir des petits salaires.
La République a le devoir de faire plus pour les populations défavorisés, d’aider davantage les associations qui apportent l’espoir d’un vivre mieux pour tous.
La misère ne doit plus être notre quotidien ! Nous savons donner, nous savons recevoir, nous savons rendre, alors nous attendons que les décideurs politiques de ce pays fassent la même chose, et que la Ministre de la santé prenne des décisions dans ce sens.
Et nous pourrons alors dire ensemble nous y sommes arrivés!
Didier Ménard – Président de l’ACSBE
Médecin généraliste sur le quartier
Être fier
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Les missions du centre de santé communautaire « La Place Santé » sont plurielles et variées. La conquête des droits sociaux par l’accompagnement des personnes par les médiatrices santé, la promotion de la santé par les ateliers collectifs animés par ces mêmes médiatrices, l’éducation thérapeutique du patient, la musicothérapie, la délivrance des soins, le café santé … Toutes ces actions s’inscrivent dans un territoire au service de la communauté des gens qui y vivent. Cela définit un territoire de santé, c’est à dire pour nous, un territoire où l’exercice de la santé est non seulement organisé entre tous les soignants de ce lieu – eux mêmes en lien avec les structures de soin et sociales de la commune. Mais cela est-il suffisant pour définir le territoire ? Certainement pas.
Le territoire n’est pas seulement géographique et délimité par une frontière administrative, le quartier, la commune, la communauté de commune, le canton… et pour nous la cité du Franc-Moisin. Il est, ce territoire, un lieu de vie, un lieu chargé d’histoire qui s’est construit dans sa réalité sociologique et culturelle au fil d’un temps qui a donc connu des moments divers façonnant petit à petit la réalité d’aujourd’hui. Le Franc-Moisin est un lieu d’immigration depuis plus d’un siècle. D’abord la France de la misère, du sans-travail venant surtout de l’ouest, puis celle des peuples du sud de l’Europe en quête de travail et de mieux-être, et aujourd’hui du monde entier. Ne sommes nous pas dans la mondialisation de la souffrance ? Le territoire de santé c’est donc la vie, avec son quotidien marqué ici par la précarité, mais aussi ces moments de fêtes, ces moments de joies et de deuils, ces moments de grandes solidarités, ces inquiétudes sur un avenir incertain, tant urbanistique que social et politique. Quartier de résistance, il produit à la fois du mal-être et du bien-être, ce curieux mélange qui imprime la vie au quotidien.
Pour une équipe de professionnels qui construit une action de santé sur un tel territoire, cela nécessite tout à la fois des savoir-faire et des savoir-être. Ces savoirs s’acquièrent aussi bien sur les bancs des universités que sur les bancs de la cité. Cette rencontre entre savoir profanes et savoir professionnels, entre mélange des cultures, entre apprentissages réciproques, produit l’offre de santé de la « Place Santé ». Que cela soit le temps du diagnostic, que cela soit le temps de la mise en œuvre de l’action, que ce soit le temps de la réflexion, de la recherche, le travail collectif est notre domaine. Sans lui point de salut et point d’action. Et tant mieux si les médiatrices, les secrétaires, les professionnels de santé, les personnels de gestion et d’entretien appartiennent à un même projet, une même histoire, si, de par le faire-ensemble, ils bousculent les représentations et les hiérarchies de valeurs qui n’ont pas lieu d’être dans la santé communautaire.
Il faut donc sans cesse faire vivre ce collectif, se méfier de l’individualisme qui tente de s’immiscer dans le quotidien pour en dénaturer l’esprit et le sens, il faut se protéger des forces occultes qui tendent des pièges, tellement cette manière de faire perturbe l’existant et déstabilise les modèles d’exercices existants. Il y a encore trop souvent une personne de pouvoir qui, dans une institution, dans une administration, ne connait pas cette façon de faire de la santé et qui par crainte, par peur de l’innovation, refuse de nous aider.
Qu’importe, cette santé communautaire n’est pas née d’une simple réflexion théorique, elle est la réponse à une situation de mal-être de toute une population, qui mérite bien qu’on invente pour elle une forme d’exercice de la santé qui lui apporte peut être pas la bonne santé mais en tout cas le mieux-être. De cela nous pouvons être fiers.
Didier Ménard
Médecin généraliste – Président de l’ACSBE